La passe longue et sautée de Foley sur le premier essai d’Ashley-Cooper était parfaite, le cuir envoyé par Giteau pour l’autre essai du même, au cordeau. Remarquable geste du centre australien. Cette précision symbolise la maîtrise, le travail accompli par les grandes nations du sud, partant la distance qui les sépare de toutes les autres équipes de la planète. Pour assurer un tel timing il faut avoir répété la chose des dizaines et dizaines de dizaines de fois. La course de Cooper était impec, disons son placement… faut du métier pour assurer ça, se connaître, lancer les cannes au bon moment, anticiper le geste du passeur… tout un art. On ne voit plus ça de part chez nous, en Europe. Les gaziers du coin n’ont tellement plus l’habitude de s’envoyer le ballon, que lorsqu’ils s’y emploient, se ralentissent à chaque prise de balle. Le cuir est jeté aux épaules, un peu trop haut, ou trop bas, trop en avant, voire un brin derrière, les joueurs sont trop proches, pas assez décalés, en profondeur comme on dit… bilan l’attaque est molle, ralentie, se termine en bord de touche… on l’a remarqué chez toutes les équipes du nord durant la CDM. Il n’y a donc pas de vitesse, partant pas de décalage possible… elles se terminent systématiquement par un ruck en bout de chaine, quand toutefois le cuir y parvient. Très facile à contrer, suffit de se laisser glisser et planter les gonzes. Super easy !!!
La profondeur comme on disait quand virevoltions jadis sur le pâtis. Nos anciens nous tannaient le cuir, c’est le cas de le dire, à nous faire répéter, répéter ces phases de transmissions, qui caractérisent le rôle premier des trois-quarts. Il s’agit d’être très en V, loin derrière le porteur… cavaler fond de cannes pour recevoir devant soi le cuir et le réceptionner en pleine vitesse. Cette figure on la répète dans une carrière, des milliers de fois. C’est ce qu’il y a de plus difficile à faire... il faut être raccord avec son co-équipier... que la passe soit précise en fonction de votre vitesse, de la sienne... des adversaires qui gènent... etc. Les Maso, Sangalli, Codorniou… Estève en bout de course… peuvent sans doute aucun vous en causer durant des plombes. On parle de cette trilogie, car c’est Maso le formateur des autres, perpétuant la lignée des grands trois-quarts centres Français. (c'était jadis, aujourd'hui ce qu'on raconte n'a même plus aucun intérêt... la transmission n'existe plus... comme des grands centres du reste, en France y'en a plus depuis des lustres... ya des bons parfois, jamais des grands). Autrement dit, de part la configue en profondeur, aucun des joueurs n’a la même course, ne possède pas les mêmes caractéristiques, les mêmes cuissots, la même dynamique de lancement... en bout l’ailier, très loin derrière dès que le cuir sort du ruck, ou de la mêlée… bref des pattes aux gros… se lance pour arriver tout berzingue au moment où il rattrape ses coéquipiers et réceptionne le cuir. C’était la figure que l’on travaillait le plus. Épuisante, faut toujours se lancer comme des fous, au ralenti ça ne donne rien… pour dire la chose, on n’en avait parfois raz la couenne… c’est là que les bons entraîneurs ne lâchaient pas l’affaire et nous imposaient des séances interminables. Pas d’issue, faut se le manger. Ce qui fait la différence imparable des nations du sud, Blacks et Aussies pour l’heure. Ce rien de passe de super Giteau, la réception impec de Cooper à toute vitesse, bref la réussite de la figure est le fait d’interminables répétitions. Ce que l’on doit apprendre aux jeunes… leur montrer ce qu’est le rugby, ne pas les faire fantasmer sur des gros qui bourrinent et tamponnent l’adversaire… ce timing, cette précision, ce travail de passe, ces anticipations, cette vivacité de transmission est le fond premier de ce jeu.
Pour en revenir à la rencontre d’hier, les Argentins ont été vaillants, batailleurs, opportunistes… certes… ont sacrément progressé depuis leur entrée dans le Championship, mais ne nous y trompons pas, avant d’atteindre le niveau d’en face, yaura plus d'un changement de climat dans la Pampa... zont un très long chemin à parcourir… et ça prendra du temps. Faut pas rêver, ou plutôt, ils peuvent rêver, mais vite redéposer les pinceaux sur le pâtis. Ces figures sus proposées, sont symboliques de la distance qui sépare les grands des autres. Pourquoi tout le monde s’accorde à dire que les Blacks vont très vite ? Parce qu’ils travaillent tous cette chose depuis les couches… arf... parce qu’ils la maîtrisent parfaitement… sont les maître du timing, du cuir réceptionné à toute vitesse. Sachant que le ballon va plus vite que les gonzes, vitesse des courses + rapidité assurée de la transmission + précision du jet, + réception tout berzingue = décalage imparable. Sont encore meilleurs que les Aussies à ce petit jeu… c’est pour ça (entre autres choses bien sûr) qu’ils dominent depuis des lustres le grand rugby. Les Argentins ont percé plusieurs fois, c’était bien, vivace, agréable, mais ce n’est qu’un bout du chemin qui mène à l’essai. La conclusion est encore l’étape supérieure. Toutes les équipes peuvent faire des petits coups comac, très peu savent conclure. C’est là toute la différence avec les grands… et pour remédier à la chose il faut travailler d'arrache pied. Autrement dit la distance est immense entre croire que c’est possible, que la partie se joue à trois fois rien, comme on l’entend stupidement parfois, et la vérité des faits... ce rien de différence pour le combler impose un très très long et lent apprentissage, d’infernales répétitions… un brin de vide invisible mais un gouffre à combler. Arf !!! Les All Blacks jouent ça comme dès le plus petit championnat, dès minus… aussi quand ils arrivent en équipe nationale, connaissent les placements, les automatismes, savent gérer leur course, se placer, passer, toniques au démarrage… (matez encore l’explosivité de Nonu malgré son âge)… précis dans leur trajectoires, "n’ont plus qu’à" travailler la connivence avec le joueur qu’ils découvrent, le connaître, le comprendre, le lire... sa kinesthésique si voulez... son style, sa manière de bouger, de leurrer... sa course, son placement, sa tronche... mais le fond est là, déjà prêt. Dire que les Argentins sont proches du haut niveau, c’est encore jouer du pipeau… malgré toute cette belle énergie, ont été incapables de planter un seul essai. Saisissez ? L’espoir est une belle chose qui ne doit pas s’éviter l’imparable réalité.
Attention !!!!! C’est dans la dynamique des minus d’outre espérer, celle des forts d’en assumer les vertus limitées, d'accorder le possible à l'impeccable vérité. Yeah !!!
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